En 2015, alors que le bâtiment qui va l’accueillir sur le nouveau site Artem est en construction, l’école supérieure d’art et de design de Nancy nous propose de concevoir le mobilier des étudiants. Nous visitons le chantier une première fois alors que le gros-œuvre vient d’être achevé, en présence de l’architecte chargé de projet et prenons alors la mesure des vastes volumes livrés bruts aux larges et nombreux cadrages sur l’environnement. Nous avons déjà conçu du mobilier mais toujours dans la continuité de projets que nous avons réalisés en tant qu’architectes. Pour la première fois, nous allions devoir le penser dans un contexte préexistant. Il est alors évident qu’il faut tirer parti du fait que le projet est en premier lieu dédié à la nouvelle école, en répondant à sa robustesse et à sa matérialité tout en se préparant à un usage intensif d’ateliers.

 

La volonté dans le contexte de Nancy, berceau du design au XXème siècle, qui plus est dans le cadre d’une école d’art et de design, est de ne pas interférer avec leur production, d’où le choix de partir d’un modèle archaïque comme base de déclinaison. L’objet qui va servir de modèle au développement de l’ensemble est une chaise d’église rurale du début du XXème siècle que nous trouvons parfaite pour ses proportions et sa simplicité. Cette chaise est un héritage familial et les cinq exemplaires que nous possédons font partie de notre quotidien. Nous avions en tête d’en proposer une réplique depuis bien longtemps mais l’opportunité ne s’était jamais présentée de manière aussi évidente.

 

Ce parti pris conservateur est compensé par l’utilisation de techniques actuelles pour leur réalisation, une manière de mettre en place un procédé qui génère de lui-même une réinterprétation contemporaine de l’objet plutôt qu’un duplicata. Nous choisissons d’utiliser les outils à commande numérique pour la découpe des pièces à réaliser, une technique que nous développons depuis le milieu des années 90 à l’apparition des premières machines de découpe assistée par ordinateur. Nous savons qu’elle peut permettre de répondre à l’urgence dans laquelle nous nous trouvons pour développer ce mobilier en une année et aux quantités commandées qui n’autorisent ni le recours aux techniques industrielles ni à une fabrication artisanale. L’emploi d’un même procédé et d’un seul matériau pour réaliser l’ensemble des meubles qu’il s’agisse des chaises, des tabourets et des bancs mais aussi des tables, établis, bureaux caisses et caissons, tableaux, est aussi une manière de ne pas surcharger l’espace et de venir appliquer une seconde couche qui, tel un agencement, tend à disparaître par son unité et par une certaine banalité. L’emploi de contreplaqué de hêtre comme unique matériau vient servir cette idée puisqu’il est déjà utilisé par les architectes pour les éléments intégrés tels que les assises de l’amphithéâtre et les paillasses d’ateliers.

 

La constitution de la chaise d’origine faite d’une ossature massive et d’un mince plateau de remplissage pour l’assise devait cependant nous extraire de nos précédents modèles réalisés sur la base de panneaux de contreplaqué prédécoupés assemblés. Le système à ossature se révélera plus économe en consommation de matière, plus léger mais s’avèrera beaucoup plus complexe dans l’élaboration d’assemblages à trois directions qui restent démontables. On est proche des assemblages de charpente japonaise à une échelle réduite. Malgré un appel d’offres public, la fabrication du mobilier ne s’avérera réalisable que par un seul atelier en France, tant la petite taille des pièces, la précision et la complexité des découpes nécessite les machines les plus perfectionnées et une connaissance très sûre de leur fonctionnement alliée, fait encore plus rare, à celle de l’ébénisterie pour le réglage définitif des assemblages sur la base de prototypes.

 

Le troisième élément qui guide le développement du projet est de lui donner une dimension pédagogique en proposant que le mobilier puisse être monté et démonté par les étudiants eux-mêmes. Nous avions en tête de poursuivre nos recherches dans l’élaboration d’assemblages réversibles ne nécessitant ni colle, ni outillage, ni quincaillerie pour faciliter l’appropriation des meubles, réduire les coûts de fabrication et pourquoi pas proposer aux étudiants une première leçon de design ou plutôt d’ébénisterie. Le corps enseignant, impliqué dès son origine dans l’élaboration du projet et particulièrement dans l’énoncé des besoins et des usages, accueille l’idée avec enthousiasme.

 

 

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